La banqueroute du musicien

bankruptEn sortant de concert un soir où l’on a presque été pris au sérieux, j’ai répondu à un pote qui me demandait à combien on avait eu droit. Sa réaction fut cinglante : « Waw ! Vous avez été payés 150€ de l’heure ! » Voilà, pris de consternation, ce paragraphe n’ira pas plus loin…

Faire vivre un groupe n’est pas chose aisée. Ecrire un ensemble de morceaux cohérents et écoutables (ça c’est plus dur), ça réclame d’abord autant de motivation que de régularité, et donc de disponibilité. Avoir du temps libre pour soi, c’est déjà parfois difficile, mais quand en plus de ça il faut le coordonner avec d’autres personnes, ça en devient vite un vrai casse-tête. Et si l’on vient à bout de cette première épreuve, arrive le problème clé d’une formation désireuse d’évoluer : l’argent.

Alors attention, évitons tout de suite les amalgames : ceux qui pensent à faire de l’argent avant de faire de la musique sont des commerciaux et non des musiciens. Vous les reconnaitrez vite : ils ont un facebook et/ou un tweeter rempli(s) d’informations creuses, un vilain site perso fait par un vilain développeur de l’ancienne école, des photos promo dignes de carrefour et un répertoire fictif de contacts incroyables, mais bizarrement vous ne trouverez aucune de leurs compositions (ils sont en train d’enregistrer une tuerie depuis des mois vous assurent-ils). Bref, nous n’aborderons pas leur cas ici (ni ailleurs) et nous nous concentrerons sur les musiciens si vous le voulez bien.

imposteur-3(Ici : un commercial qui tente une percée dans un groupe de musiciens)

Alors, par où commencer ? Avec un peu de logique, que faut-il pour pouvoir espérer faire un concert devant une foule en délire (de douze personnes, certes, mais en délire quand même) où vous aurez la chance inouïe d’empocher la modique somme de 150€ ? Quelqu’un… ? Un instrument par musicien, très bien ! Certains ont peut-être la chance d’être le fils de Goldman ou la fille de Gainsbourg, pour les autres ne rêvez pas, il vous faudra casser la tirelire. Maintenant que vous avez une pelle dans les mains ou des fûts sous les yeux, il vous faut apprendre à jouer. Alors vous achetez des bouquins, des DVDs, vous prenez des cours particuliers, ou vous vous inscrivez dans une école. Bien, estimons le bilan après une première année d’apprentissage, sans exagération, à 1000€ (vous aurez bien cassé des cordes, eu un souci d’ampli, percé des peaux ou explosé des cymbales, voire pire pour les moins chanceux).

Maintenant que vous touchez un peu plus, vous décidez avec vos potes de monter vos premiers projets qui vous obligeront à louer un local où vous aurez l’occasion de casser du matériel encore plus souvent qu’avant. Le prix : 30€ par mois par personne, soit, en arrondissant grassement, 300€ par an. Vous rachetez au passage un nouvel instrument après avoir achevé le premier comme votre première voiture. Vous vous rendez compte que pour aller répéter, il faut faire quelques bornes et que mine de rien, ça pèse dans la balance… Les années passent et vous faites un second état des lieux après cinq années de vie musicale : prix des instruments + leur entretien + local + essence = 5000€, toujours en voyant large.

C’est alors qu’arrive le grand jour : vous vous décidez enfin à réserver un studio pour la première fois afin d’y enregistrer un album. Vous prenez donc toutes les dispositions nécessaires : quelques économies passent à la trappe, quelques jours de congés serviront à ce projet au détriment des vacances, sans compter l’investissement personnel et les sacrifices que ça représente. Prix d’un enregistrement : quelques milliers d’euros en fonction de vos exigences et de vos connaissances, sans oublier qu’il vous faudra encore payer le pressage derrière (quite à avoir du son, autant le mettre sur un support physique). Et puis si vous voulez faire ça bien, vous ferez peut-être les T-shirts, badges et autres déclinaisons qui vont avec.

Voilà, dix longues années sont passées et vient l’heure tant attendue des comptes. Alors faisons simple : beaucoup d’argent + beaucoup d’argent = beaucoup d’argent. Heureusement, votre album est sorti et vous allez pouvoir faire fortune avec ! Vous venez d’ailleurs de voir une proposition alléchante que vous vous pressez de partager aux autres membres du groupe : « Yo ! Ca vous dit de venir jouer à Boutx-Le-Mourtis ? C’est en door deal (comprenez « on vous donne de l’argent s’il y a des alcoolos pendant la soirée et si on a envie ») mais on offre deux bières par musicien ! ». Par sécurité, vous vérifiez le trajet sur mappy et découvrez que 1000 bornes vous séparent. Mais comme vous savez pertinemment que la bière ça paie l’essence, les payages et la prestation, vous n’hésitez pas une seconde…

tumblr_lwl0yeiyNc1r3ovdbo1_500_largeUn peu de sérieux : revenons à nos 150€ de départ. A cette somme, il faut donc soustraire les frais de déplacements, la communication que l’on finit parfois par faire soi-même (flyers, affiches, etc…) et diviser ce qu’il reste par le nombre de musiciens et de techniciens qui les accompagnent, si tant est que la somme ne part pas directement dans les caisses du groupe, ce qui est souvent le cas. Car pour qu’un groupe subsiste, il doit au fond marcher comme une entreprise : d’abord on investit, ensuite on tente de faire fructifier et on espère ne plus avoir à mettre d’argent de sa poche pour avancer. Alors après l’investissement moyen décrit plus haut, pourquoi est-ce que c’est encore le groupe qui devrait payer pour jouer ? C’est votre garagiste qui paie vos nouveaux pneus ? Pourquoi est-ce qu’une salle qui fait son chiffre grâce à un groupe qui ameute un public ne prend même plus la peine de respecter les acteurs de son business ? L’argent que l’on réclame, sachez-le, n’est pas destiné à finir dans nos poches, mais dans celles de nos techniciens, de nos fournisseurs, des boites de location, peut-être même chez vous. Ce qui nous intéresse, nous, musiciens passionnés, c’est de jouer, et de ne pas le faire à perte. Point barre.

3 réflexions sur “La banqueroute du musicien

  1.  »Car pour qu’un groupe subsiste, il doit au fond marcher comme une entreprise : d’abord on investit, ensuite on tente de faire fructifier et on espère ne plus avoir à mettre d’argent de sa poche pour avancer. » Quand beaucoup de musiciens comprendront ça, beaucoup pourront enfin arrêter de se plaindre.

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