Trois – Chapitre 8 (2)

Si tu l’as ratée, la première partie du chapitre se trouve ici.

– Eh bien, il m’est déjà arrivé de sentir, je pense, cette chose. Pour être tout à fait honnête, il me semble même que c’est encore arrivé très récemment.
– Alors, dites-moi, qu’avez-vous ressenti ? m’impatientai-je.
– Ce n’est pas évident de parler de choses qui n’existent pas…
– Pas du tout, Dieu n’existe pas, pourtant on vit pour lui à chaque seconde et ses noms résonnent sans interruption depuis l’aube de l’humanité.
– Je vous croyais athée, s’inquiéta-t-elle.
– C’est juste. Cela ne m’empêche pas de reconnaitre l’importance de Dieu, ni de lire ce que l’on écrit à son sujet. Mais nous oublions notre histoire.

D’ordinaire plus à l’aise au devant de la scène, Silvia ne paraissait guère gênée de m’écouter et s’assura quelques secondes de ne pas me couper la parole avant de reprendre.
– Je vous disais donc que je pense savoir de quoi vous parlez. Et si ce n’est pas de cela, ce ne doit pas être bien différent. Vous me connaissez, je suis une femme d’action plus qu’une femme de mot, et c’est donc avec un exemple concret que je veux vous formuler la chose. La dernière fois que je l’ai croisée… Je préfère ne pas vous le partager pour le moment, je ne suis pas prête, et nous ne sommes pas assez… je dirais intimes.
A ce dernier mot, une connexion se fit entre nous. J’étais sûr qu’elle aussi l’avait senti. Elle hésita un instant puis continua.
– Quant à la fois précédente, c’était il y a quelques jours à peine. J’étais descendue au marché de la ville pour y faire quelques courses quand je vis cet homme. Il titubait deux ou trois mètres devant moi et ça n’avait pas l’air d’être à cause de l’alcool. Quand il tourna la tête une première fois, je vis qu’il avait le visage d’un jeune garçon tout à fait enviable en dépit de sa démarche de vieillard. Prise de curiosité, j’oubliai momentanément mes affaires et le suivis pendant quelques minutes. Sans raison, il se mit soudainement à accélérer le pas et j’eus de plus en plus de mal à le guetter, si bien que j’eus l’impression d’avoir à jouer avec mes sens.
Jusque là, sa robe resplendissait encore autant qu’au début de notre rendez-vous.
– En effet, je dus plisser les paupières pour mieux distinguer ses airs et fixer mes oreilles loin devant pour mieux l’entendre ruminer. Je n’entendis d’abord que quelques syllabes sans saveur, mais progressivement, je crus comprendre quelques mots, puis une phrase entière : il me semblait avoir entendu dans le creux de l’oreille « tu étais autre hier, tu seras autre demain ». Surprise, je sursautai et revins à moi-même. J’avais eu la soudaine impression de sentir mon corps s’étaler, de devenir cet étrange fluide prêt à se mêler à tout ce qui l’entoure, et d’avoir pénétré le fluide de cette homme étrange pourtant à plusieurs mètres devant moi.
– Alors vous y êtes ! Voilà ce que c’est que cette sphère émotionnelle. C’est cette boule, ou plutôt ce voile qui nous effleure le corps et qui prends la forme qui lui convient à chaque instant, telles ces créatures flasques et lancinantes qui peuplent les eaux profondes.
– Ravie que l’on se comprenne !

Ravi, je l’étais aussi. Je ne m’attendais pas à entendre un récit aussi proche de mes attentes. N’était-ce que le fruit du hasard ?
– Puis-je vous interroger à propos de votre dernière expérience ? lançai-je.
– C’est que… Je crains être un peu gênée.
– Et si je vous fais une confidence ?
– Quel genre de confidence ?
– Du genre à vous délier la langue, plaisantais-je.
– Ah ! Eh bien, allez-y si vous êtes si sûr de vous.
– Très bien. Que diriez-vous si je vous affirmais avoir senti votre sphère effleurer la mienne aujourd’hui même ?
Le visage de Silvia feint naturellement la surprise par réflexe, mais son corps tout entier, guidé par sa sphère, trahit son approbation. Le bas de son dos se creusa, ses épaules se firent droites et son coup s’allongea. A l’image de nos âmes, nos corps se montraient sous leur grand jour et nos yeux plongèrent réciproquement les uns dans les autres.
– Que diriez-vous, énchérit Silvia, si je vous affirmais sentir votre sphère effleurer la mienne en ce moment-même ?

Une réflexion sur “Trois – Chapitre 8 (2)

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