Herbin, l’anthroposophie et moi

auguste-herbin-symchromie-en-noir-c1939-n-2647085-0Amis lecteurs, bonjour.

Voilà quelques semaines que je n’ai pas pris la peine de remplir les pages de ce blog. Le temps nous rattrape bien souvent et il est parfois difficile de tenir une routine littéraire quand cette dernière se fond au milieu d’autres activités. Entre la musique qui m’occupe toujours autant, les déplacements et divers travaux liés à mon travail (souvenez-vous, j’en parlais ici), et un déménagement et les plaisirs qui y sont associés, je reprends petit à petit mes marques et en profite pour recadrer mon mode de vie, laissant au passage plus de place à la création. S’il est encore pénible pour moi d’écrire dans ce nouvel appartement, c’est parce que l’espace n’y est pas encore tout à fait consacré, et parce que j’ai préféré à mon arrivée troquer mon stylo contre des crayons. La raison ? Au croisement de conversations venant de tout horizon, j’ai retrouvé la maxime qui suit :

Ce qu’il faut, c’est donner du sens.

Le sens qui m’est propre, c’est la recherche. L’attrait pour le Beau, pour l’Expérience et pour le Mouvement. Vivre figé n’est que survivre ; appréhender des émotions neuves et inconnues, c’est déjà aller de l’avant. Pour cela, il faut expérimenter. Faire des choses que l’on a jamais faites. En ce qui me concerne, il y a entre autres une approche du dessin que j’ai découverte il y a peu dans l’excellent musée Matisse de Cambrai. On y trouve bien évidemment les oeuvres de Henri Matisse, oeuvres qui valent déjà le détour, mais aussi celles d’artistes fauves et cubistes tels qu’Auguste Herbin (vous aurez aussi sûrement pensé à Picasso et vous avez raison). Très présent pendant la première moitié du 20e siècle, son travail trouve encore de nombreux échos aujourd’hui. Assurément inspiré par l’anthroposophie de Steiner, créateur du mouvement voué à « définir » la science de l’esprit,  Herbin a cherché pendant une partie de sa vie à établir un langage universel en associant physique et psychique. Au commencement était le verbe, emprunte-t-il à Saint-Jean avant d’ajouter : Pour la peinture, nous avons maintenant les mêmes possibilités avec les lettres dans leurs rapports avec les couleurs et les formes. Pour aborder cette idée, il suffit d’observer l’alphabet qu’il a développé, socle d’une série d’impressionnantes créations.

09-alphabet-plastiqueVous l’aurez vu en note, cette alphabet a a priori été finalisé en 1942 après bientôt 40 années de carrière (notons au passage que je n’évoque dans cet article qu’une petite partie de son oeuvre). Ce tableau met en évidence la base même de ses compositions : à chaque lettre sont associées une forme, une couleur ainsi qu’une note de musique. L’un des plus beaux résultats de cette chimie est certainement le vitrail Joie, d’une hauteur de 5m50 pour 3m60 de large, dont la réplique est exposée au musée Matisse.

musee-matisseDerrière ce travail se cache une approche ésotérique de la représentation d’une émotion. Les plus curieux pourront, s’ils le trouvent, se procurer son livre, l’art non figuratif non objectif, pour obtenir plus d’explications sur le sujet. Toujours est-il que ses tableaux transcendent comme peu d’autres et que l’abstrait a rarement été aussi évocateur. La musique m’a appris que les choses les plus belles étaient bien souvent les plus simples, les plus logiques. Herbin nous aura démontré la même chose par le dessin : il n’est guère nécessaire d’user de formes composées de plus de quatre lignes pour obtenir un résultat saisissant. Suivant ces consignes, je mets donc la main à la pâte depuis quelques semaines. Ce que j’ai appris depuis ? A approcher ma réflexion sous un autre angle. A transposer des idées en formes plutôt qu’en mots. Je continue à rater des projets, et c’est tant mieux : j’apprends. Je vous avais déjà invité à en faire autant (ici par exemple) et ne peux que continuer à aller dans ce sens.

Avant de conclure cet article, je tiens à préciser que La Routine d’un Marvin change légèrement de formule pour s’adapter à mon style de vie plutôt incertain : n’étant en mesure de me tenir à une routine stable, je posterai désormais les futurs articles en fonction de mes envies et de mes disponibilités et non plus chaque jeudi. J’ai écris plus tôt que la contrainte transforme l’artiste en artisan et je ne veux pas tomber dans ce piège. J’écris et créé avant tout pour moi, et le faire pour un autre ne fait que parasiter mon fonctionnement. On a parfois envie d’être un autre homme pendant quelques jours, voire quelques semaines, voire pour toujours, et j’ai encore envie de m’accorder ce plaisir. Je vous dis donc à très vite au détour d’autres lignes qui relateront très certainement une récente aventure en pleine mer à bord du Rara Avis, un trois-mâts où j’ai eu le plaisir de passer une semaine intense en compagnie de 34 autres personnes…

De la langue parlée…

On devrait s’organiser pour écrire plus. Partout, tout le temps. Et apprendre à prendre le temps. Tout arrêter pour prendre le temps, ralentir les idées qui fusent et ne pas les voiler par les banalités du quotidien ou par paresse. Il faudrait par exemple écrire un abécédaire de son entourage. Y décrire les gens qu’on aime et la façon dont on les aime. Je crois que c’est ce que l’on se dit le moins. On a le droit d’aimer sa femme, ou son mari, ses enfants et toute sa famille, mais on a rarement le droit d’aimer quelqu’un d’autre. Alors qu’on en aime des autres, et d’un tas de manières différentes. Autant qu’on en déteste. Et souvent – tout le temps ? -, on fait les deux à la fois.

On aime les autres pour ce que l’on voudrait s’aimer soi.

On n’aime une chose que lorsque l’on est prédisposé à l’aimer.

Il y a des périodes où l’on pense beaucoup mais où on n’écrit rien. On organise et trie nos idées, essayant de ne pas en perdre en route mais c’est peine perdue. A titre personnel, je m’en veux constamment de ne pas être plus productif. Pourtant, il faut savoir s’accorder du répit. Du temps perdu. Moi, je suis mal organisé, je n’ai pas de rythme, ou plutôt, pas de stabilité. Je navigue à travers les jours au gré du tempo de mon environnement qui évolue sans cesse.

Est-ce vraiment bon de vivre avec plusieurs Moi ?

Infinity-Time1Il y a tellement de choses à écrire. Tout est là, en nous, très clair quand on le ressent, prêt à être partagé, mais les émotions se transforment trop rarement en mots, ou plutôt en mots représentatifs de l’émotion pure. C’est un fait, les langues – le langage de manière générale, – tendent vers la simplification. Le langage de l’âme comme celui du corps sont eux aussi touchés par ce phénomène. Malheureusement, ils se voient progressivement effacés, oubliés, remplacés par un système de communication complètement différent dénué de partage d’énergie et remplie d’apparences véhiculées par le concept de « parole ».

La faute à nos égos / égaux.

670px-2011_pyramide_des_besoins_de_communication_d_apres_albert_mehrabianEst-il vraiment nécessaire d’utiliser la parole pour communiquer ? Définitivement, non. Elle est indiscutablement indispensable mais elle ne remplacera jamais, ne comblera jamais les vides laissés par l’échange non-verbal que l’on oublie depuis trop longtemps.

Et si l’on donnait des cours d’émotions ? Ou de relations ?

Alors pourquoi n’enseignerait-on pas ce langage avant qu’il ne disparaisse ? Pourquoi ne parlerait-on jamais d’énergie, de conscience collective, de contrôle quantique au cours de la scolarité alors que l’on vit dans un monde qui se fond et existe toujours plus dans la masse et dans le collectif ?

« L’homme-dé » ou la colocation cérébrale

1218405_6_9612_couverture-de-l-homme-de-de-luke-rhinehartQue vous ayez suivi en cours ou non, bouquiné sur le sujet ou non, vous avez forcément entendu parler de certaines théories de Freud ou de Jung, à commencer par cette histoire de « moi », de « sur-moi » et de « ça ». La barrière entre le conscient et l’inconscient, le refoulement, tout ça… J’en vois déjà bailler comme d’autres à l’époque, du fond de la classe. Pour résumer, ces théories ont orienté la psychologie moderne à figer l’homme comme un, seul et unique, divisant ce dont il a conscience et ce qu’il ignore du méchanisme qui forge son être à chaque instant. Mais ça, c’était sans compter sur les folies datales de Luke Rhinehart, aussi connu sous le nom de l’homme-dé.

Comme pour Freud, les théories avancées par cette homme ne sont pas que les siennes et ont évolué au sein d’un corps psychologue de haut rang. Si l’on retient son nom aujourd’hui, ce n’est pas seulement parce qu’il avait des idées géniales, mais surtout parce qu’il était au bon endroit au bon moment, et parce qu’il a su s’y faire remarquer, portant ainsi l’étendard construit par ces prédécesseurs. Mais ce fameux homme-dé a tout de même franchi une sacrée frontière que personne n’avait même encore envisagé…

2topiqueEtre psychologue, psychanalyste, ou même psychiatre, n’est pas chose aisée. Creuser dans la tête des gens de manière plus ou moins littérale, décortiquer le cerveau humain et ses rouages, c’est à la fois en apprendre trop et trop peu sur ce que l’on est. Luke, lui, a voulu pousser ses théories plus loin en les soumettant à sa propre personne. Comment ? A l’aide de simples dés, d’où son surnom. Ennuyé par sa vie banale et rangée, Luke est devenu l’homme-dé en une pulsion. Dès lors, il s’est mis à les laisser dicter sa conduite au fil des jours, les lançant après avoir énoncé une possibilité par face. Il s’est alors mis à être un homme différent parfois pour un jour, parfois pour une semaine ou plusieurs, parfois pour une année entière, et d’autres fois toutes les dix minutes, ceci affectant bien évidemment ses rapports sociaux de toutes sortes. Entre autres, les dés l’ont poussé à aider non moins de trente-cinq de ses patients à s’évader de leur hôpital psychiatrique ; à jouer six rôles différents allant du muet crétin au pervers en passant par Jésus lors d’une importante réunion ; à tromper sa femme avec celle de son collègue le plus proche avant de quitter sa famille sur un coup de tête. Et vous ne le croirez peut-être pas, mais il aura, malgré ces actions incensées et un tas d’autres bien plus insolites, réussi sans grand effort à faire basculer son entourage, avant nombre d’inconnus, dans la dé-vie. Par exemple, après que les dés lui eurent ordonné un soir de violer sa maitresse, cette dernière accepta sous la contrainte de ses propres dés, dés qui avaient aussi dit à son mari présent dans l’appartement d’accepter. Et la chose se fit sans souci.

Quel rapport avec ses théories et celles de la psychologie freudienne me demanderez-vous ? C’est l’écart gigantesque entre les sujets qu’elles défendent. Alors que la psychologie moderne décrit l’homme comme une unité absolue et indivisible dirigée par le « moi », Rhinehart le dessine lui comme un être multiple et changeant. Il n’y a pas selon lui un « moi », mais plusieurs. Il y a par exemple le « moi » que vous présentez la plupart du temps à votre entourage, et celui qui vous est étranger, qui vous fait prendre des décisions que vous ne comprenez pas. Il y a le « moi » qui travaille avec plaisir et celui qui voudrait cracher sur le système tout entier. Le « moi » qui aime son partenaire, et celui qui voudrait en aimer tant d’autres. Ce que l’homme-dé s’évertue à expérimenter sur sa propre personne, c’est l’abandon du « moi » primaire, celui qui fait de nous des gens banals, bornés, soumis, conventionnels, prévisibles et hermétiques. Ce qu’il lui reproche ? C’est de brider les autres « moi », de les empêcher de s’exprimer, restreignant ainsi la capacité d’une personne à être et à créer. Pour le citer :

L’homme doit arriver à se sentir à l’aise en évoluant d’un rôle à un autre, d’un ensemble de valeurs à un autre, d’une vie à une autre. L’homme doit se libérer des barrières, des modèles et des cohérences, de façon à devenir libre de penser, de sentir et de créer des choses neuves.

b_9725_2_liberte_autonomie_et_demarche_spirituelleBref, « L’homme-dé », l’auto-biographie de Luke Rhinehart (de son vrai nom George Cockcroft), n’est pas à prendre à la légère. Certains thèmes sensibles y sont abordés sans gant et peuvent remuer pas mal d’idées pré-conçues. Que la trame soit entièrement vraie ou non n’a que peu d’importance, même s’il vaut mieux que de nombreux faits relatés ne le soient pas. L’intérêt est dans le fond de pensée véhiculé par le livre. Dans la remise en question de la structure de la psyché que ce dernier apporte. Il n’est certainement pas le seul à aller dans ce sens, ou dans un autre tout aussi différent, mais celui-ci vaut particulièrement la peine d’être étudié, au risque de se perdre dans les dés…