De la langue parlée…

On devrait s’organiser pour écrire plus. Partout, tout le temps. Et apprendre à prendre le temps. Tout arrêter pour prendre le temps, ralentir les idées qui fusent et ne pas les voiler par les banalités du quotidien ou par paresse. Il faudrait par exemple écrire un abécédaire de son entourage. Y décrire les gens qu’on aime et la façon dont on les aime. Je crois que c’est ce que l’on se dit le moins. On a le droit d’aimer sa femme, ou son mari, ses enfants et toute sa famille, mais on a rarement le droit d’aimer quelqu’un d’autre. Alors qu’on en aime des autres, et d’un tas de manières différentes. Autant qu’on en déteste. Et souvent – tout le temps ? -, on fait les deux à la fois.

On aime les autres pour ce que l’on voudrait s’aimer soi.

On n’aime une chose que lorsque l’on est prédisposé à l’aimer.

Il y a des périodes où l’on pense beaucoup mais où on n’écrit rien. On organise et trie nos idées, essayant de ne pas en perdre en route mais c’est peine perdue. A titre personnel, je m’en veux constamment de ne pas être plus productif. Pourtant, il faut savoir s’accorder du répit. Du temps perdu. Moi, je suis mal organisé, je n’ai pas de rythme, ou plutôt, pas de stabilité. Je navigue à travers les jours au gré du tempo de mon environnement qui évolue sans cesse.

Est-ce vraiment bon de vivre avec plusieurs Moi ?

Infinity-Time1Il y a tellement de choses à écrire. Tout est là, en nous, très clair quand on le ressent, prêt à être partagé, mais les émotions se transforment trop rarement en mots, ou plutôt en mots représentatifs de l’émotion pure. C’est un fait, les langues – le langage de manière générale, – tendent vers la simplification. Le langage de l’âme comme celui du corps sont eux aussi touchés par ce phénomène. Malheureusement, ils se voient progressivement effacés, oubliés, remplacés par un système de communication complètement différent dénué de partage d’énergie et remplie d’apparences véhiculées par le concept de « parole ».

La faute à nos égos / égaux.

670px-2011_pyramide_des_besoins_de_communication_d_apres_albert_mehrabianEst-il vraiment nécessaire d’utiliser la parole pour communiquer ? Définitivement, non. Elle est indiscutablement indispensable mais elle ne remplacera jamais, ne comblera jamais les vides laissés par l’échange non-verbal que l’on oublie depuis trop longtemps.

Et si l’on donnait des cours d’émotions ? Ou de relations ?

Alors pourquoi n’enseignerait-on pas ce langage avant qu’il ne disparaisse ? Pourquoi ne parlerait-on jamais d’énergie, de conscience collective, de contrôle quantique au cours de la scolarité alors que l’on vit dans un monde qui se fond et existe toujours plus dans la masse et dans le collectif ?

Prenons le temps

Si l’on peut s’accorder sur une chose au sujet de la révolution industrielle et de ses conséquences, c’est qu’elles ont, en à peine quelques décennies, inscrit notre planète dans une sphère progressiste et mécanique sans précédent. S’enfonçant sans fin dans cette spirale au fil des générations, l’homme a, sans même s’en apercevoir, radicalement modifié sa propre conception du temps. A l’image des paysages ravagés par l’être moderne, le cerveau de ce dernier s’est vu s’urbaniser : au lieu de journées de labeur et de philosophie inhérente à la vie pré-industrielle, on a bâti les trois huit et l’usage pratique de la seconde. Pour expliquer cela, prenons la situation telle qu’elle était avant l’invention des machines nouvelles, et comparons-là à notre situation à nous, peuple moderne aux idées virtualisées.

Que faire lorsque l’écran n’existe pas, lorsque le livre est un luxe, lorsque la musique est une denrée qui ne peut être écoutée qu’en direct, si ce n’est penser ? Que faire tout au long d’un trajet de quelques longues heures, lors d’une nuit d’insomnie, ou bien encore plus simplement en travaillant quand le multimédia n’est même pas encore un rêve, si ce n’est philosopher avec soi-même ou avec son entourage ? Vous conviendrez qu’il faut tout de même bien s’occuper. Pour l’homme « ancien », celui qui n’a pas connu le courant électrique par exemple, le mot ennui n’avait certainement pas le sens qu’on lui attribue désormais.

k-bigpicCar plus question aujourd’hui de ne rien faire, même l’espace d’un instant. La société occidentale dans laquelle nous vivons s’entête à combler les trous. Nous avons à disposition tous les moyens nécessaires pour nous empêcher de penser. Certes, nous ne pouvons nier l’intérêt d’un tel sacrifice, la connaissance étant désormais accessible à tous, ou presque. Encore faut-il ne pas être trop pauvre, dans son porte-feuille moins que dans sa tête. Toujours est-il que nous en sommes arrivés à un point où il nous est difficile de penser, et ce pour plusieurs raisons.

Avant d’approfondir ce problème, il est indispensable de redéfinir le terme penser. Ne nous laissons pas berner par son sens populaire qui nous incite à croire qu’il suffit d’avoir quelque chose en tête pour penser. Non, penser, c’est douter. C’est remettre en cause sa propre condition comme celle de l’univers. C’est renier ses connaissances pour mieux les appréhender. C’est sortir de soi et chercher à comprendre comment et pourquoi. Penser, c’est encore tout un tas d’autres choses qui n’ont rien à voir avec ce que Juliette a dit de vous à votre patron, avec ce que vous allez porter demain, ou avec votre colère due au fait que vous payez plus d’impôts à cause de vos élus.

imagesBien, pourquoi est-il donc devenu impossible pour un nombre d’individus grandissant de manière exponentielle de penser ? Nous dirons sûrement que c’est la faute des chiffres. De toutes ces montres, ces téléphones, ces cadrans numériques que l’on nous colle sous le nez partout où nous allons. Le dernier fils du Temps, né au commencement de la révolution industrielle, s’est laissé corrompre par la modernité précise et impartiale et a entrainé avec lui la rééducation cérébrale de toute l’humanité. Après avoir dicté à la seconde près vos journées de travail, il a vite fait de ranger vos idées inutiles à une heure donnée. Ainsi, à 7h26, vous écoutez des inconnus raconter des ragots pour mieux vous réveiller ; à 19h48, vous regardez des gens faire la même chose pour souffler de votre journée de travail ; à 20h50, vous continuez à soumettre à votre esprit des illusions visuelles et sonores avant de vous endormir à 23h07 sur un fond de chanson niaise que vous écoutez pour l’unique raison que vous la connaissez par coeur et qu’elle vous sépare de l’inconnu où votre esprit pourrait avoir le malheur de s’engouffrer.

Au fond, le système n’est pas entièrement responsable de la perte graduelle de vrais penseurs, même s’il suffit de n’écouter que quelques secondes les BHL, Finkielkraut et autres imposteurs de cette famille pour se faire une idée sur la question en France. Mais nous ne pouvons pas omettre que l’homme moderne à cédé à la luxure et à la paresse. Combien d’entre vous ont encore l’habitude de ne rien faire pendant quelques minutes ? De couper télévisions, téléphones, ordinateurs, tablettes, consoles et autres pour se laisser penser ? Qui ose méditer, ou au moins prendre le temps d’essayer ? Forçons-nous un instant à prendre le temps, rien qu’une fois, pour se poser la question. Peut-être cela nous donnera-t-il des idées. Des vrais idées, personnels, intimes et belles, loin des pâles copies qui ornent les murs de notre culture où le temps ne fait qu’être trop présent, pressant, et pesant. Cassons à l’occasion ce rythme endiablé qui fait de nos cervelles de la bouillie pour les chiens gâtés que sont les instigateurs de ce drame.

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